Jacqueline Gaudet Pdte Mounana et Ango Marthurn de la Cartram. |
Photo: Camille. |
Un dispositif
d’Observation de la Santé sur les sites miniers uranifères exploités par Areva
vient d’être créé. C’est le fruit d’un long travail mené par des ONG comme
Aghir In’Man qui a permis d’aboutir au récent accord.
D’ici la fin de
l’année, les sites miniers d’extraction d’uranium exploités par Areva seront
dotés au Niger d’un Observatoire de la Santé. L’engagement a été annoncé à la
presse ce vendredi 19 juin à Paris, à l’occasion de la signature d’un accord
relatif à la création d’un Groupe d’Expertise Pluraliste d’Observation de la
Santé (GPOS) sur ces mêmes sites miniers. Cet accord a été signé par l’industriel,
l’association française Sherpa de protection et de défense des populations
victimes de crimes économiques et l’association de solidarité internationale
Médecins du Monde. « Cet accord n’a rien à voir avec nos missions de
renforcement du système de santé au Niger, précise le médecin Michel Brugière,
directeur général de Médecins du Monde. A travers ce dispositif, on met en
place la médecine du Travail avec Areva comme employeur et des ONG représentant
les travailleurs et les anciens travailleurs des mines uranifères ».
Selon le
protocole d’accord sur les maladies provoquées par les rayonnements ionisants
signé ce même jour par Sherpa et Areva, les travailleurs et anciens
travailleurs des sites miniers uranifères et/ou leurs Ayants droit pourront
s’adresser à l’Observatoire de la Santé dans le cas où ils auraient contracté
une maladie qu’ils soupçonnent être liée à l’exposition aux rayonnements
ionisants. « Ces sujets doivent être abordés sans tabou", a déclaré
Jacques-Emmanuel Saulnier, porte-parole du groupe Areva, qui qualifie de
« première mondiale » la création des Observatoires de la Santé et la
démarche de concertation d’un industriel avec les associations. Le malade
pourra faire cette démarche à deux conditions : que la pathologie contractée
figure dans le tableau N°6 des maladies professionnelles du Code de la Sécurité
Sociale français, et après avoir fait les démarches auprès des organismes
sociaux Nigériens pour obtenir reconnaissance de ce lien. « La présomption
d’imputabilité protège le salarié », explique l’avocat William Bourdon,
président de Sherpa, qui qualifie cet accord d’« inédit » car il
règle le passé et organise une vigilance pour le futur.
Si les
conditions sont réunies par le malade, le comité médical de l’Observatoire de
la Santé composé d’ONG (Médecins du Monde et/ou représentant les travailleurs
et anciens travailleurs), d’autorités publiques locales et d’Areva, examinera
le dossier médical. S’il statue sur l’existence d’un lien direct et certain
entre la maladie déclarée et les conditions de travail, Areva s’engage à ce que
la victime soit indemnisée. Le GPOS, composé d’un collège de douze experts
indépendants nommés pour moitié par Sherpa/Médecins du Monde et Areva, et
présidé par le directeur médical d’Areva, recueillera et analysera une fois par
an les résultats enregistrés par l’Observatoire de la Santé.
Un
point d'étape important, sur un chemin qui reste à tracer
Pour l’heure, ce
dispositif se met en place au Gabon, où un premier Observatoire de Santé vient
d’être créé pour les anciens travailleurs des mines uranifères de Mounana,
fermées depuis 1999. Areva s’est engagé, par ailleurs, à installer une
surveillance des populations environnantes qui vivent autour des anciens sites.
« Depuis 1958 nous sommes des travailleurs. La période d’incubation
avance ! » s’est exclamé Mathurin Ango du Catram, le Collectif
gabonais des anciens travailleurs de la Compagnie des Mines d’Uranium de
Franceville (Comuf). Pour cet homme qui dénonce une « carence entretenue »
d’informations (non accès au bilan dosimétrique, aux fiches médicales, etc.) et
qui revendique le « droit de savoir », il s’agit avant tout d’une
reconnaissance morale et de pouvoir édicter des règles de vie comme celle
d’éviter les mariages entre enfants de mineurs pour limiter le risque de
stérilité. Pour Jacqueline Gaudet, présidente de l’association française des
anciens employés expatriés de la Comuf, la signature de cet accord est une
« victoire ». « Il aura fallu neuf longues années pour qu’aujourd’hui,
Areva nous entende », a-t-elle déclaré, qualifiant d’« admirables
guerriers » les associations Sherpa, Médecins du Monde et la Commission
Indépendante d’Information sur la radioactivité (Criirad) à qui ils ont fait
appel en 2005. dès En 2003, l’association nigérienne Aghir In’Man a été
précurseur dans cette démarche de faire appel à ces ONG d’envergure
internationale. « Avec la mondialisation, la société civile a besoin
d’interdisciplinarité, sinon elle ne s’en sort pas », a souligné W.
Bourdon de Sherpa. Pourtant, aucun représentant d’Aghir In’Man n’était présent
lors de la signature de cet accord qui constitue un point d’étape important,
après un parcours déjà long de plus de six ans d’enquêtes de terrain et de
négociations de la société civile. « Nous n’avons pas pu rentrer en
contact avec nos partenaires nigériens entre la première date prévue pour la
signature de l’accord et ce vendredi 19 », confie bien embêté Michel
Brugière. Aghir In’Man est déclarée comme association de protection de
l’environnement, cela justifie-t-il son absence ? La Criirad figurait
également parmi les grands absents à cet événement. Dans un communiqué mis en
ligne sur son site Internet, elle s’interroge sur la nature de cet
accord : « Progrès
réel ou écran de fumée ? ». S’appuyant sur sa connaissance de la réalité
de terrain des sites miniers, acquise avec difficulté : radon évacué dans
les rues par les bouches d’aération, poussières radioactives volatiles
détachées des résidus radioactifs entreposés à l’air libre, forte suspicion de
la contamination des eaux, matériaux radioactifs issus des mines et des usines
dispersés à travers le pays et réutilisés par la population, etc. La Crrirad
déclare : « Si Areva ne prend pas en parallèle des dispositions pour
réduire l’impact sanitaire et environnemental de ses activités, la mise en
place de ces observatoires ne constituera pas un progrès réel ».
Avec le
dispositif actuel, le GPOS pourra faire des propositions en matière d’hygiène
et de sécurité qui aient des conséquences en faveur de la protection de
l’environnement, à partir de données sur les liens entre santé et environnement
rassemblées par les Observatoires de Santé. De même, pour l’instant dans le
tableau N°6 relatif aux rayonnements ionisants ne figurent que trois
cancers : leucémie, cancer du poumon et cancer des os. Mais aux vues des
recherches menées ces 25 dernières années (le rein, particulièrement touché) et
des données recueillies par les Observatoires de la Santé, le GPOS pourra faire
aussi des propositions qui iront dans le sens d’une plus grande variété de
pathologies reconnues comme étant en lien direct avec une exposition chronique
aux faibles doses de radioactivité. « Si les associations veulent pousser
la balle plus loin sur terrain, il faudra qu’elles la fassent remonter ! »,
conclu le docteur Michel Brugière, bien conscient des liens existants entre
problèmes de santé et environnement de vie. « Il appartient aux ONG de
continuer le travail sur le terrain », a déclaré W Bourdon, qui entend
bien « ne pas faire preuve d’angélisme » dans cette affaire.
Malgré toutes
ses limites, ce dispositif offre un potentiel d’avancées significatif pour que
tous s’approprient le risque de vivre et de travailler avec ces matières
radioactives inodores et invisible, présentes naturellement dans
l’environnement, rendues dangereuses par leur concentration et leur
accumulation liée à l’exploitation minière. Si l’accord n’est pas rompu par
désaccord entre les parties et s’il est reconduit dans deux ans, le démarrage
de la mine Imourarem s’accompagnera a priori d’un point sanitaire initial des
salariés et peut-être de la population environnante. Cette mine ne sera plus
seulement « la mine d’uranium la plus importante de toute l’Afrique et la
deuxième au monde ».
Camille Saïsset,
correspondante à Paris pour le journal