Une femme enceinte malade Photo DR. |
Au Niger, certaines femmes délaissées par leur mari se
tournent vers la pharmacopée traditionnelle pour qu’il soit sexuellement plus
ardent à leur égard. S’introduisant des produits hétéroclites dans le vagin,
elles pavent sans le savoir la voie à un cancer redoutable. Pour leur plus
grand mal.
« Je n’avais
que 38 ans lorsque mon mari m’a annoncé qu’il voulait se remarier avec une
jeune fille de 17 ans, raconte M.A., une mère de cinq enfants adossée à un mur du
quartier de Sabon Carré de Zinder, le visage triste et manifestement anéantie
par la maladie. J’ai consulté une amie et cette dernière a suggéré que ma
féminité s’était affaissée et que c`était pour cela que mon mari voulait
prendre une fillette. Elle me conseillait de me « rajeunir » et m’a donnée
une série des produits traditionnels. Un mois plus tard, j’avais des symptômes
comme des leucorrhées, des douleurs pelviennes et des saignements peu abondants
mais fréquents. Je
n’avais plus du plaisir. Je voyais bien que j’étais malade mais je ne savais
pas ce que j’avais. Plus tard, on m’a dit que c’était le
cancer du col de l’utérus… Mais comme la maladie a été diagnostiquée
tardivement, les chances de guérison sont réduites. »
Le malheur des
uns faisant le bonheur des autres, certaines femmes vendent ces médicaments
traditionnels de porte en porte, donnant force « conseils » sur leur
mode d’emploi ! « Je circule dans les services à longueur de journée en
liquidant ces produits que les femmes utilisent pour la nuit – Koudi ko Motta,
1 million, Vitesse, etc. – et je vous assure que je gagne bien ma vie, dit
Hadjia Maria, 53 ans, une sage-femme retraitée devenue commerçante au quartier
Rahin Madame. Mais à chaque fois que je vends un produit, je mets l’accent
sur l’hygiène, c’est-à-dire de ne pas appliquer le produit si la femme a des
lésions vaginales car ces médicaments sont fabriqués à base des feuilles et de
cendres. »
« A l’origine du cancer du col de l’utérus, il y a
un certain nombre de facteurs de risques, explique-t-elle. Et le premier
est l’infection par le virus du papillome humain. Chaque fois qu’une femme a un
cancer du col, on retrouve ce type de virus quand on fait l’examen. Mais il y a
d’autres facteurs. Des infections génitales banales mais aussi d’autres
traumatismes qui peuvent intervenir au niveau du col. Si celui-ci est déjà
fragilisé, l’infection trouve un terrain favorable. Cette infection, la femme
ne la sent pas et ça passe inaperçu. Malheureusement, le mal évolue sans bruit
et dénature les cellules normales du col qui deviennent finalement cancéreuses. »
Issoufa Harou, gynécologue obstétricien à la Maternité centrale de
Zinder, confirme
: « Le cancer du col – comme le cancer en général
d’ailleurs – est une prolifération anarchique de cellules qui deviennent
folles, qui grandissent et se
multiplient. Normalement, les cellules ne dépassent pas une certaine taille, un
certain volume. Quand ces dernières deviennent cancéreuses, elles augmentent
constamment de volume et de taille, détruisant tout au passage. Elles ne s’arrêtent jamais
jusqu’à la mort de l’individu. Voilà ce qu’on appelle le cancer en général.
Pour le cancer du col, c’est cette même anomalie qui survient au niveau du col
de l’utérus, c'est-à-dire à l’entrée de l’utérus .C’est à ce niveau que ce
cancer se développe. Et c’est une multiplication de cellules de façon anormale
et anarchique qui se poursuit de façon indéfinie. Et tant qu’il n’y a pas de
traitement, cette multiplication continue. Rien ne peut l’arrêter. »
La rumeur laisse entendre que l’utilisation des médicaments traditionnels est à la base
de ce mal. Qu’en pense le spécialiste ? « C’est ce que la rumeur laisse
entendre, rétorque le docteur Harou. Du point de vue scientifique, le
cancer du col est provoqué par un virus, le papillome virus humain, ou HPV
selon l’acronyme anglais. C’est un groupe de virus dans lequel il y a plusieurs
stéréotypes, nommés 16, 18, 31, etc. On a remarqué que ce type particulier de
virus est à l’origine du cancer du col.
Mais d’autres facteurs peuvent intervenir. Par exemple, une femme qui a
accouché plus de cinq fois. Sur son col, il y a déjà des lésions préexistantes
ou d’autres infections banales chroniques. Il y a donc de petites plaies sur le
col. Si la femme est en contact avec ce virus, le cancer peut se développer
plus facilement. Et si la femme utilise des produits traditionnels corrosifs,
c'est-à-dire qui peuvent entraîner des lésions au niveau du col, cela peut
favoriser aussi le cancer du col parce que le virus y trouvera un terrain tout préparé.
Donc, ça va plus vite. On peut dire que les produits traditionnels contribuent
dans un sens au développement de ce cancer même s’ils n’en sont pas le facteur
le plus déterminant. »
Le cancer du col est donc une maladie sexuellement
transmissible. Que la société le considère comme tabou ne se justifie en rien
car son dépistage précoce permet d’éviter son développement. Le cancer, c’est
certain, n’est pas une maladie qu’on attrape d’emblée. C’est une maladie qui
prend des années à s’établir et à se manifester cliniquement. Mais lorsqu’on
fait l’examen de dépistage, on peut détecter les lésions qu’on appelle
précancéreuses grâce à un simple test fait à la maternité. Dans les pays
développés, il y a même deux types de vaccins disponibles contre les types de
virus incriminés dans la genèse du cancer du col de l’utérus et qu’on
administre en général aux jeunes filles qui n’ont pas déjà eu de rapports
sexuels.
Tout ça c’est pour dire qu’on peut prévenir le cancer du col
de l’utérus, en faisant le test de dépistage des lésions précancéreuses, test
offert dans les maternités du Niger. « C’est pour cela qu’on encourage
les femmes à venir à la maternité pour faire le dépistage, ajoute le
docteur Issoufa Harou. En plus, ce test est tout à fait gratuit ! »
Abdoul Razak Tallé