le Sultan de Zinder Aboubacar Sanda |
Le Damagaram :
Votre altesse, pouvez-vous nous faire un bref historique du sultanat du
Damagaram ?
Son Altesse Alhadji Aboubacar Sanda : Pour l’histoire, deux chasseurs de la région
de Kellé arrivèrent dans le pays qui s’appellera plus tard Damagaram. Un jour,
chacun partit chasser de son côté. Après un long temps, Karda, l’un des deux
chasseurs retrouva son compagnon dans une clairière. Il lui demanda : « da ba
grimi ? ». Ce qui veut dire en kanouri : « c’est de la viande crue que tu
manges ? » Les Hausa par la suite déformèrent cette phrase en Damagaram. Quant
à Zinder qui vient de Zundurma, il fut tout aussi créé par un chasseur à quelques
80 kilomètres du Damagaram.
Maintenant
pour parler du Damagaram, nous retiendrons que sa date de création remonte à
1736. Il eut pour illustre fondateur Mallam Yunus, un éminent marabout venu du
Bornou pour prêcher le saint Coran. Celui-ci parvint à se valoir la sympathie
des populations par les nombreux miracles qu’il fit, à tel point que ces
dernières, qui lui confièrent l’enseignement de leurs enfants, lui donnèrent
également leurs filles en mariage. Mais l’attaque perpétrée en ces temps là par
les pillards touaregs descendus du nord, l’obligea à se déplacer. En passant
par Kolon Fardou, Damagaram Takkaya, il alla s’installer à Guéza. Après sa
mort, ses fils, puis ses petits fils dispersés dans les villages environnants
comme Kirshiya, Ci Hanza prirent la relève. Ceux-ci tout en continuant son
œuvre, devinrent des chefs. C’est ainsi que parmi sa lignée, Saleeman, fils de
Tintouma ki Garagé, fut le tout premier sultan à prendre le nom de Sarkin
Damagaram ou sultan du Damagaram. Ce fut également lui qui, en venant
s’installer à Zinder, en fit la capitale de la cité-Etat du Damagaram. Parmi
les grands sultans, on citera aussi le sultan Tanimoun, qu’on appelle le
bâtisseur, qui fit construire le garu, ou rempart, en 1856. Ce grand stratège
dans l’art de la guerre affranchit le Damagaram de la tutelle du Bornou, fit de
l’armée du Damagaram une véritable armée de métier. Il développa l’industrie
comme la teinturerie, la tannerie, etc. Il fit de Zinder la porte du soudan en
encourageant le commerce transsaharien. Ce fut lui qui étendit les frontières
définitives de la cité-Etat du Damagaram.
Zinder possède de nombreux sites et monuments
historiques qui, pour peu qu’ils soient mis en valeur, prêteraient au tourisme.
Quel appel lancez-vous aux partenaires pour vous aider à réhabiliter de tels
sites et monuments ?
Zinder
possède en effet de nombreux sites dont le ranch des autruches, la colline aux
deux sources de Ganatcha. Dans le Termit, on découvre des animaux spécifiques
tels les addax, les outardes, les autruches etc. Concernant les monuments, on
trouve, entre autres, celui de Henri Barth dans la vieille cité de Birni. À
Djajidouna, on trouve la première prison construite par les colons. Pour peu
que ces sites et monuments soient mis en valeur, notre région va développer une
véritable industrie touristique. L’appel que nous avons à lancer va d’abord à
l’endroit de nos agences touristiques. Aujourd’hui nous sommes dans un monde de
l’information et de la communication. On ne peut pas développer un secteur
aussi important que le tourisme qui, ailleurs, génère de fortes rentrées en
devises, sans au préalable faire connaître à l’extérieur ce que nous avons
comme ressources particulières. Il faut que les agences vendent notre image.
Qu’elles fassent connaître nos richesses. Aujourd’hui, les touristes regardent
sur internet pour choisir les destinations de leurs voyages d’agrément. Nous
encourageons en ce sens nos agences à se faire de la visibilité. Ensuite, comme
aujourd’hui on ne peut rien entreprendre sans moyens, nous lançons un appel
solennel à l’Unesco et aux autres institutions et partenaires au développement
pour venir voir, composer avec nos opérateurs, pour qu’ensemble nous puissions
mettre en valeur ces sites. Cela va être un gain pour tous.
La jeunesse constitue le fer de lance de tout
développement. Parlez-nous de celle du Damagaram.
La
jeunesse constitue, vous l’avez si bien dit, le fer de lance de tout
développement et cela que ce soit ici à Zinder ou partout au Niger. Ce qu’il
faut relever ici est que notre jeunesse est confrontée d’abord à un problème de
désœuvrement. Ensuite, force est de constater qu’elle est sujette à un manque
de suivi de la part des parents. Et cela est préjudiciable à son éducation, à
son instruction, à sa santé, bref à son bien être. Nous croyons bien qu’il nous
faut remédier à ce laisser-aller et à cette démission qui sont en train de
prendre le pas sur les responsabilités que nous avons. « Nos meilleures
graines, disait Cheick Hamidou Kane, ce sont nos enfants ». Nous devons pour ce
faire assumer les responsabilités qui sont les nôtres en donnant une bonne
éducation de base à nos enfants. À l’endroit de ces jeunes qui attendent
beaucoup de la vie et de nous qui sommes leurs parents, nous demanderons d’être
indulgents. De chercher un métier quel qu’il soit. Les jeunes ne doivent pas
dédaigner les métiers qui sont souvent à leur portée car, comme le dit l’adage,
« il n’y a pas de sot métier, il n’y a que des sottes gens ». Et nous
rappellerons cet autre proverbe de chez nous qui dit « da babu gonda ba dadi «
mieux vaut ce n’est pas bon à il n’y en n’a pas ». On doit se contenter et
prendre patience du peu qu’on a. Tout ne se construit pas en un seul jour. Nous
disons ceci à notre jeunesse. « Sachez que nous sommes là pour vous aider. Nous
sommes attentifs à vos préoccupations. Vos problèmes sont les nôtres. Nous ne
sommes pas vos adversaires mais vos parents, vos conseillers. Et on n’a jamais
vu aucun parent qui désire du mal pour son enfant. Nous sommes avec vous, notre
jeunesse, dans le cadre d’une société qui cultive la paix, et la tolérance.
Parce que sans paix, sans quiétude sociale, et sans tolérance, rien ne peut se
construire de durable. À cet effet, nous devons éviter de nous porter préjudice
à nous même en nous faisant violence. Si nous arrangeons les choses, ce seront
nos choses à nous que nous aurons arrangées. Et si nous gâtons les choses, ce
seront nos choses à nous que nous aurons gâtées. Et dans le cas où, au lieu
d’arranger, nous gâtons nos choses, hé bien, c’est encore à nous que revient le
devoir de réparer les choses que nous avons-nous-même gâtées.
On constate qu’il est de plus en plus fréquent
qu’on recourt à la mise du saint Coran pour réguler la vie sociale ou pour
régler les différends à Zinder. Quel commentaire un tel recours au livre saint
vous suscite-t-il ?
Le
problème qui se pose dans le cas que vous citez là, ce n’est même pas au niveau
du sultan ou du sultanat, ou des notables qu’il se pose. Le problème se situe
au niveau de la population elle-même. Aujourd’hui pour un rien, les gens
veulent qu’on leur donne l’autorisation de mettre le coran. Et si on le leur
empêche, ils interprètent ce refus d’une autre manière. Concernant cette
question, ce que nous avons à faire, en ce moment, c’est de continuer à
sensibiliser les gens avec des prêches et autres pour qu’ils comprennent qu’on
ne blague pas avec le saint Coran. C’est un livre saint qui est la parole de
notre Dieu et qu’il nous faut respecter et protéger. Les citoyens n’ont qu’à
prendre exemple sur les autres régions. Quand il y a un conflit là bas, les
gens cherchent à régler le différend à l’amiable et jamais on ne met le saint
Coran.
Avec la décentralisation, les entités
administratives sont appelées à prendre en charge, pour une grande part, leur
propre développement. Quelles démarches le sultanat de Zinder a-t-il
entreprises pour faire bénéficier de son influence à la région en attirant des
investisseurs étrangers ?
Avant de parler des investisseurs étrangers, je parlerai d’abord
de nos opérateurs économiques locaux. Je les invite à investir dans tous les
domaines, surtout dans la création d’unités industrielles qui vont permettre
une création d’emplois dans notre région. Il faut qu’ils viennent en aide aux
jeunes comme ailleurs on le voit faire. Pour ce qui est du recours aux
investisseurs étrangers, il y a des filières qu’on doit suivre et il y a les
projets à concevoir, à ficeler et à soumettre. Nous avons souvent des
délégations étrangères qui viennent nous rendre visite. Dans la plupart des cas
nous n’avons pas de proposition concrète à leur faire. Or ce n’est pas à
l’autre de concevoir à votre place ce que vous voulez lui proposer. Nous
croyons que nos associations de développement et autres doivent s’employer à
concevoir des projets qu’elles pourront soumettre à nos partenaires. Nous
sommes pour notre part tout à fait disposés à les aider pour que ces projets
aboutissent. Nous les encourageons en ce sens à multiplier les initiatives.
Concernant les services qui s’occupent de réceptionner les projets soumis par
les ONG et associations de développement, nous les exhortons à plus de
diligence dans les traitements, surtout à éviter les lenteurs administratives
qui portent préjudice à nos projets. En matière de développement on n’attend
pas.
Quel appel avez-vous à lancer aux Damagarawas ?
Notre
appel est surtout que les gens comprennent que le monde a beaucoup changé.
Aujourd’hui en prenant l’exemple du Niger, il y 8 régions. Dans toutes ces 8
régions, les gens cherchent à se développer. Chacune de ces 8 régions cherche à
être la meilleure parmi les autres. C’est comme une compétition. À cet effet,
il faut que tout le monde apporte sa modeste mais indispensable contribution
pour que nous puissions développer notre région. Il faut aussi que ceux que
Dieu a favorisés en biens, essaient de créer des emplois pour les jeunes. Il
faut que ceux qui ont été élevés à des postes de responsabilité pensent à
trouver du métier et de l’emploi pour nos jeunes. Nous lançons un appel à tous
les Damagarawas afin qu’ils soient soudés et solidaires. C’est ensemble, dans
la paix, dans le respect mutuel, dans le respect des valeurs républicaines, que
nous allons réussir à asseoir les bases de notre vrai développement.
Notre
dernier appel va à l’endroit de l’ensemble de la population. Chaque jeudi et
vendredi nous nous rendons sur la place de la grande prière pour invoquer Dieu
afin qu’il nous comble de ses faveurs et gratifie notre pays d’un hivernage
fécond. Nous en appelons à tous sans distinction à venir apporter leur
contribution, soit en venant prier avec nous notre Seigneur, soit en mettant à
disposition de nos illustres marabouts qui sacrifient leur sommeil et leur
temps pour implorer pour toute la Oumma la bénédiction divine un peu des biens
que Dieu les a gratifiés. Nous sommes sûr qu’avec une telle disposition, nous
allons gagner cette lutte pour un développement harmonieux du Damagaram et du
Niger dans son ensemble.
Avez-vous un dernier mot ?
Notre
dernier mot est un souhait. Depuis quelque temps nous avons la SORAZ qui est
une grande unité industrielle qui s’est implantée dans notre région. Nous
pensons, comme l’a eu à maintes reprises, répété l’opinion, que la SORAZ, en
concert avec le gouvernement, doit essayer de revoir sa politique en matière de
prix. Ceci afin de faciliter l’accès aux produits pétroliers aux populations,
ce qui, d’une part va permettre une consommation accrue des produits, mais
aussi une rentrée de devises significative pour elle. Elle doit tout aussi
promouvoir une politique de création d’emplois pour nos jeunes. Les populations
riveraines, en toute logique, doivent être prioritaires. Pour cela nous
espérons que cette doléance sera prise en compte pour une meilleure réussite et
une bonne intégration de la société dans le paysage social du Damagaram.
Nous
n’oublierons pas à la fin de remercier les jeunes qui sont en ce moment en
train de faire la sensibilisation dans les différents quartiers pour que la
paix et la quiétude sociale règnent dans le Damagaram. Que Dieu le Très
Miséricordieux nous gratifie de Sa Grâce. Qu’il rendre prospère notre région et
élève notre pays. Amen !
Interview réalisée par B. Marka
et I. DIALLO.